En m'inscrivant sur l'Ariégeoise et non la Mountagnole, j'avais deux objectifs, un en relation avec le club, l'autre par rapport à mon
projet de faire l'Etape du Tour. Par rapport au club je me souviens l'an dernier, après la Mountagnole, avoir entendu de ci de là quelques commentaires, qui certes ne me visaient pas
particulièrement, en raison de leur caractère généraliste, mais qui n'étaient pas tombés dans l'oreille d'un sourd : « L'Ariégeoise, c'est arrivée au plateau de Beille », version
Franciscaine, ou « L'Ariégeoise, c'est évidemment le parcours adulte », version Présidentielle. Donc déjà un objectif double pour rentrer
dans la vraie confrérie, satisfaisant à la fois les « Petitboutistes et les Grandboutistes » chers à Jonathan Swift. Par ailleurs le projet d'Etape du Tour, et quitte à n'en faire
qu'une dans sa vie, autant que ce soit celle-ci, Pau Luchon, étape historique et prestigieuse, avec juste deux petits détails, 200 km et près de 5.000 m de Dénivelé, nécessite à l'évidence une préparation spécifique avec des kms et du dénivelé à mener de manière crescendo.
Mais revenons à l'Ariégeoise. Ayant tout à fait opportunément mis à profit une réunion à Toulouse le matin du vendredi, je me
retrouvais en éclaireur à Tarascon en début d'après midi. A ce propos, il paraît qu'il faut prononcer Trrrrascon (si, si sans le « a » mais avec 4 r). Les formalités sont vite
expédiées, les stands de matériels ou de maillots vintage sont attirants mais je sais résister, direction le camping du Pré Lombard que je connais bien maintenant, et dont il faut
louer (aux deux sens du terme) les installations, mais pas le repas du soir. Je m'occupe de trouver une table pour dîner en compagnie d'Yvon et Pascal et je les retrouve un peu plus tard. Le montage des tentes est une formalité pour tout le monde. On remarque le goût du confort de
Pascal dont le matelas gonflable (avec moteur intégré) permet d'installer un couchage de 140 en mezzanine. Je lui fais observer qu'il manque l'échelle mais cela ne le préoccupe pas trop. Je lui
souhaite de ne pas se cogner la tête la nuit en se réveillant mais à part cela tout baigne. Yvon a, lui, une approche plus Spartiate et allégée du camping.
Le repas se révèle excellent au restaurant « le vieux carré » (y penser pour l'avenir, mais Yvon note que cela n'a pas
toujours été le cas par le passé).
Au matin petit déjeuner diététique destiné à être vite assimilé et remplissage des poches et des bidons en glucides de toutes sortes.
Le choix de la tenue pose question car le temps est frais, avec brouillard, mais nous faisons le pari d'une amélioration progressive, donc manches courtes et léger coupe vent.... Et nos routes se
séparent, Yvon et Pascal récupérant Gégé parti le matin même et moi rejoignant le sas des lève-tôt.
Je me remémore les consignes répétées d'Eric et des meilleurs spécialistes du club en effort de longue durée, surtout, partir en
douceur, ne pas chercher à suivre les cadors et me réserver pour la montée de Beille, car m'ont-ils promis, si tu as de la réserve tu vas en rattraper quelques uns. De toute façon, ne m'étant pas
échauffé, et la première montée intervenant dès le 10eme km (le col de la Lauze), il faut mieux rester progressif. Ce col est assez long mais le pourcentage de pente reste modéré et autorise à
monter avec le 39. Je laisse donc passer les gens pressés et ma tactique porte tellement ses fruits qu'au détour d'un lacet et jetant un coup d'oeil en arrière, je vois qu'il ne reste que moins
d'une cinquantaine de concurrents derrière moi et la voiture balai (en fait une ambulance). Je me sens assez bien mais un incident fortuit va m'inciter à remonter quelque peu la file. La route
est étroite et devant moi deux espagnols roulent de front en discutant et gênent le passage. L'un d'eux dégage une odeur corporelle particulièrement intense au point qu'elle en est très
incommodante. Refusant d'échouer dès le début du parcours par simple asphyxie, je profite d'une ouverture et me donne une petite marge pour ne pas le
revoir de sitôt. Après quelques km de montagne russe nous arrivons enfin au sommet et abordons la descente étroite, humide et assez technique, qui me permet de doubler pas mal de concurrents. Mon
intention étant à l'issue du col suivant (Monségur) d'intégrer un groupe qui permette de rouler sur les 70 km sans grosses difficultés qui précéderont le Pas de Souloumbrie. La montée de Monségur
depuis Montferrier est courte, 4,5 km mais raide, jamais moins de 8% et parfois plus de 10%, un avant goût de la journée. Nous sommes dans un peloton
assez nombreux mais qui va s'effilocher. Toujours le brouillard et donc pas de vue sur le château. Dans la descente je me retrouve avec un seul compagnon, un Carcassonnais au physique proche
d'Angel et je lui propose une association. En effet, il vaut mieux désormais rouler dans un groupe étoffé pour être à l'abri. Nous avons d'ailleurs en point de mire un groupe de 4 ou 5 qui semble
assez tonique, mais malgré nos relais à 40 voire 45 de moyenne, impossible de les reprendre car ils sont plus nombreux, donc se fatiguent moins. Nous renonçons à la poursuite et mon compagnon se
souvient opportunément qu'il y a un ravitaillement un peu plus loin, donc la perspective de s'intégrer à un groupe. C'est effectivement ce qui se produit car au moment ou nous arrivons, le groupe
en question redémarre. Nous renonçons au réapprovisionnement car en raison du taux d'humidité, nos bidons sont encore bien garnis. Et là c'est un vrai régal, ce groupe étant mené par trois
membres de Montauban triathlon qui ne laissent aucun relais à qui que soit, ce qui ne me vexe pas. Nous rattrapons un peu plus loin un peloton important de coureurs de la Mountagnole (étrange car
ils sont partis après nous, mais eux ont pris de manière tout à fait régulière un raccourci, les organisateurs ayant souhaité les ménager en leur évitant Monségur).
Cette partie du parcours ne présente pas un grand intérêt, mais elle est longue, et la Mountagnole nous quitte en évitant
soigneusement les petites difficultés qui nous attendent: col de Sarnac, col de Charcany ainsi que la montée de Nalzen. Malheureusement, continuant de respecter ma consigne qui est de ne pas me
mettre dans le rouge, je suis parfois lâché par le groupe que j'ai précédemment intégré, et les descentes très roulantes et peu techniques ne me permettent pas de le rattraper. Alors
insensiblement ma vitesse décroît et mon esprit vagabonde. Tiens le hameau de « Catufet », l'occasion par association d'idées de penser au Nouveau Testament : « Qu'as tu fait de
tes talents » (Mathieu... l'évangéliste évidemment). Aïe, si je m'embarque dans cette introspection je risque de bâcher sérieusement. Fort opportunément un groupe me rattrape à fond et le
leader me lance en se retournant « Accroche ». Bonne idée et ma vitesse repasse de 23 à environ 35 km/h sans effort excessif, le tout nous permettant d'arriver à Garrabet. Un court
instant je pense que ma voiture est là à 5 km et sans une côte pour l'atteindre, mais comment alors rentrer à la maison et au club sans le rouge au front et l'impérieuse nécessité de s'ouvrir le
ventre en public (et sans grimacer). Va donc pour le Pas de Souloumbrie. C'est une montée intéressante, mais avec l'accumulation des kms on la sent bien surtout au milieu. Dans un village
quelques habitants ont installé leur table au bord de la route pour prendre l'apéritif. Je m'arrête un instant en demandant de l'eau qui m'est obligeamment offerte, l'hôte poussant l'amabilité
jusqu'à me proposer le Ricard, que je décline poliment car qui dit Ricard dit retard alors qu'avec Isostar ça repart (ceci étant dit en hommage à Gégé). Je cogite à nouveau mais cette fois pour
affiner mes calculs de moyenne. Je pense arriver aux Cabannes à 13 heures 45, à 25 de moyenne environ. Cela me laisserait donc 2 heures pour faire les 16 km de montée et arriver dans le temps du
Brevet Or, soit 8 km/h.
Avant de monter, cela me paraît jouable, mais je commence par une pause de 10 mn car depuis le stand de ravitaillement j'aperçois le
début de la pente, et cela mérite, non pas réflexion mais ressourcement. Après un coup de fil à Muriel, direction le stand et comme depuis quelques minutes je note un changement de temps, le soleil faisant son apparition, je lance sur le ton de la plaisanterie « Ah enfin du
soleil, cela nous manquait pour monter à Beille ». Un concurrent se retourne, l'oeil mauvais et me rétorque « tu rigoleras moins quand tu
seras en haut ». Un peu interloqué par cette forme d'humour sans appel je m'apprête à lui dire que, justement c'est de l'humour et que par prétérition je dis le contraire de ce que je veux
laisser entendre. J'y renonce finalement: c'est probablement un ancien footballeur. J'attaque enfin le monstre, 1200 m de dénivelé à 8% de moyenne sans aucun relâchement et là plus de course
d'équipe, chacun est seul et fait ce qu'il peut. Les deux premiers kms me font plaisir car je suis régulièrement au dessus de 8 km/h,et il le faut car j'ai « perdu » 10 mn en bas, mais
insensiblement je vois les petits signaux de quartz de mon compteur changer d'apparence et de plus en plus souvent descendre à 7 voire « horresco referens » à 6 (virgule quelque chose
quand même). Je n'ai pas trop de crampes mais des douleurs diffuses un peu partout dans les jambes, et le fessier qui commence à brûler (excusez moi mesdames si vous tombez sur ce passage). Je
pense alors aux marins bretons au célèbre dicton « qui voit Ouessant voit son sang » voulant marquer ainsi par cette expression l'extrême difficulté de ce passage maritime redouté, et
par analogie je pense « Qui voit Beille coule une Bielle » (deuxième hommage à Gégé). Et là, que dire, Gégé racontera la même chose dans son compte rendu et Yvon et Pascal ne diront pas
le contraire, c'est éprouvant, c'est long, limite interminable. Mon expérience vélocipédique est assez modeste mais je n'ai jamais encore souffert comme cela. J'avais monté Hautacam, mais frais,
le Ventoux par Bédoin, pareil. A partir du 8eme km on repère les (petits, très petits) panneaux kilométriques mis en place par un Conseil Général économe des deniers du contribuable, et on se dit
qu'il y en a moins à faire que de déjà réalisés. Depuis longtemps je suis « Tout à gauche », je le sais, mais à chaque durcissement de pente mon index cherche à pousser la manette à la
recherche d'une improbable couronne de 30 ou 32 dents. La manette bute toujours, et il me faut relancer, en danseuse, mais sans même oser descendre alors le dérailleur d'un cran, ce qui serait
quand même plus efficace. Les encouragements, heureusement ne manquent pas tout au long du parcours, et cela aide aussi, que ce soit de la part de spectateurs, de touristes ou des bénévoles qui
sont là un peu partout pour nous approvisionner, encouragements aussi d'Yvon qui entame sa descente. Enfin on distingue le sommet et les dernières centaines de mètres, est-ce une illusion, liée à
la satisfaction d'y être arrivé, paraissent plus faciles. Je sais depuis longtemps que je n'aurai pas le Brevet d'Or, et il s'en faut de 18 mn avec un temps de 8h03mn, mais ce Brevet Argent me
paraît de meilleure valeur que mon Brevet Or de la ronde Castraise. Enfin avec 3.450 mètres de dénivelé et 160 km (185 avec le retour à Trrrrascon soit 8:35 de selle en tout), je me suis
rapproché de l'Etape du Tour.
Histoire à suivre donc. Je n'ai pas vu Gégé, trop fatigué pour aller faire la queue au plateau repas, je repars vers le camping et la
douche, je ne reste pas pour la remise des prix, un rapide calcul me laissant à penser que je ne serai pas sur le podium. Je jette un coup d'oeil au tableau qui défile, tout le monde est arrivé,
Pascal dans la catégorie « mineur », comprenne qui pourra.
Si je ne peux commenter la valeur du repas final, je dois enfin souligner la très grande
qualité de l'ensemble de l'organisation, l'importance de l'encadrement par les bénévoles qui assurent une sécurité optimale sur les routes, et le grand nombre ainsi que la judicieuse disposition
de l'ensemble des postes de ravitaillement. Mais si je reviens à Beille et que je n'ai pas d'EDT à préparer, je prendrai la Mountagnole, dussé-je décevoir Patrice....