Après avoir exploré les profondeurs du classement de l'Ardéchoise, la Lanterne avait un autre défi à relever l'étape mythique du Tour de France 2009 entre Montélimar et le Ventoux, 172 km, 3800 m
de dénivelé et... la chaleur. L'objectif était simple pour la Lanterne: finir dans les délais (éviter surtout de finir dans les camions rouges comme en 2007). Les délais étaient fixés à 17h30 soit
10h 20mn environ pour moi qui était dans le 3ème sas. Je pensais raisonnablement (quel grand naïf !!!) finir en 9 heures et des poussières, j'avais tablé sur un peu plus de 6 heures pour faire les
150 premiers kms et 3 heures de plus pour rejoindre le sommet du Mont Chauve (que j'avais monté en un peu plus de deux heures en mai . Ces prévisions me laissaient une grosse heure
d'avance sur les bus-balai, la suite prouvera que des prévisions à la réalité, il y a souvent un gouffre...
Arrivé en famille la veille de l'épreuve, j'accomplis les formalités
habituelles puis jette un oeil distrait au village départ. La chaleur est déjà accablante et les prévisions pour le lendemain sont encore plus inquiétantes pour quelqu'un comme moi dont le tube
digestif redoute la chaleur.
La nuit au camping est correcte (pour une veille d'épreuve, tout est relatif). S'il prend à
certains l'idée saugrenue d'aller camper à Montélimar, j'ai une bonne adresse... à éviter. Enfin, l'intérêt de ce camping est que je peux faire en vélo les 5 kms qui me séparent du sas de départ.
Dès l'aube, c'est l'effervescence, il y a des vélos partout. En effet, 9500 cyclos sont inscrits, un peu moins sont au départ, 7400 verront le Ventoux. Parmi les présents, quelques VIP comme
d'habitude et beaucoup de coureurs (ou d'anciens coureurs comme Brochard ou Zabel), notamment le Champion de France Dimitri de son prénom et son maillot bleu blanc rouge (il remportera
l'épreuve).
Un grand absent cependant, mon camarade de fortune (l'an dernier) ou d'infortune (l'année d'avant), Mathieu qui a dû déclarer forfait en raison d'une blessure à l'épaule. Je suis déçu
pour lui et regrette de ne pas partager ces moments toujours si particuliers.
A 6 h 20, je suis dans le sas, le premier départ est prévu pour 7 heures,
le mien aura lieu seulement 6 mn plus tard. Je profite de l'attente pour m'assoir par terre et le spectacle de tous ces mollets rasés m'inquiète un peu. Il y a du coursier au mètre carré. Je suis
toujours impressionné par le niveau moyen des concurrents, parfois la Lanterne se demande ce qu'elle fait là.
Je quitte la capitale du nougat. Les premiers kms sont avalés à rythme
soutenu jusqu'à la première côte de Citelle longue de 5 kms. La descente est rapide et encombrée puis vient la côte de Rousset-les-Vignes, rapidement montée aussi. Au bout d'une cinquantaine de kms
arrive le col d'Ey, les paysages sont magnifiques et les pentes commencent à être plus dures. La température est déjà chaude. Je fais une halte au premier ravito et suivant les conseils d'Yvon, je
m'alimente et remplis les gourdes. C'est ensuite autour du col de Fontaube, on aperçoit souvent le Ventoux, on lui tourne autour... La cinquième difficulté du jour est la montée vers Aurel, longue
de 6 kms. Je m'arrête au ravito liquide de Sault (il en faudrait sur la tête) puis j'attaque le Col des Abeilles (qui elles aussi commencent à me tourner autour) et ses presque 1000 m
d'altitude. Ce col est le moins joli de la journée, la route est large, sans arbres, c'est une véritable fournaise. Par contre la descente est agréable même pour un piètre descendeur comme moi.
Enfin j'arrive à Bedoin où Christine et les enfants m'attendent au pied du sommet.
J'ai déjà fait 150 kms et plus de 2000 m de dénivelé. Je suis dans les
temps. Je prends le temps d'une pause photo et boisson, je mange un peu à l'ombre (+ de 40 degrés au soleil) et je repars avec un moral de vainqueur. La famille se dirige vers la station du Mont
Serein où est le village arrivée.
Les 5 premiers kms de l'ascension sont les plus faciles, pour l'instant tout va bien. Le public est nombreux, tout le monde sue à grosses gouttes. Arrive le virage à gauche de St Estève et là
commence mon calvaire, les 11 kms qui mènent au Chalet Reynard vont être les plus long de la saison. Les pentes sont régulières mais très pentues, l'air est inexistant, je longe les bords
pour trouver de l'ombre mais les bordures sont déjà encombrées par ceux qui marchent. Au détour d'un virage plus pentu, les crampes s'invitent à la fête, je suis tétanisé. J'en ai à
l'arrière des cuisses mais aussi au dessus des genoux quand je me mets en danseuse. C'est une première en vélo pour moi. Je m'arrête, m'étire longuement. J'essaye de boire, c'est de plus en plus
délicat, je ne suis pas un adepte de l'eau chaude. Je me remets en selle, je fais dans le fractionné: je roule un peu puis je m'arrête récupérer et m'étirer. Les crampes reviennent dès que j'appuie
trop fort.
Autour de moi, c'est l'apocalypse, il y en a partout couché sous les arbres, les camping cars installés déjà pour voir l'étape des pros installent des matelas partout par terre, les pompiers et
ambulances passent dans tous les sens. Je suis cuit (littéralement). Je n'arrive plus à boire, cela repart en circuit direct.
Je suis à 8 kms du sommet, l'abandon est proche. J'appelle Chris pour lui dire de ne pas s'inquiéter. Ils sont à l'arrivée, les enfants m'attendent. Cela me donne un coup de fouet, je ne
leur ai pas fait faire tout ça pour flancher. Je me donne un nouvel objectif le chalet Reynard où un dernier ravito est prévu. Je rêve de gazeux et d'eau fraiche. Tant bien que mal j'y arrive et
surprise... le ravito est vide, plus la moindre goutte d'eau. Au prix de l'engagement, on peut penser que même les "poireaux" comme moi ont droit à leur ravito. Un camarde me dit qu'il a
encore 35 degrés à son compteur, nous sommes à 1500 m d'altitude !!! Un filet d'eau sort d'une source et des dizaines de cyclos s'agglutinent. Pour ma part je me dirige vers le café, noirs de
cyclos égarés. Je commande un coca et m'attable pour le boire, je suis à la terrasse d'un café pendant l'étape du tour, ça a un côté surréaliste mais cela me redonne quelques forces, j'avale un gel
et je repars.
J'affronte désormais un nouvel ennemi: les délais. Quand je repars du Chalet Reynard, il ne me reste plus qu'un quart d'heure d'avance sur les camions rouges. Les trois kilomètres suivants sont
plus faciles, je reprends un peu de moral. Le sommet est à deux kms quand les crampes reviennent, aux mollets cette fois. Je fais la énième pause et je repars. Je passe devant les différentes
stèles, je n'ai pas le temps de me recueillir, la course contre la montre continue. Je passe la ligne, épuisé, avec vingt minutes d'avance sur les délais en un peu plus de dix heures. J'apprendrais
par la suite qu'au vu des conditions atmosphériques, les délais ont été allongés de 40 mn. Je suis dans les profondeurs du classement mais j'avoue ne pas y penser sur le coup tant la joie d'avoir
atteint le sommet est grande.
Je redescends de suite au village arrivée où la petite famille m'attend. Je me promets
que les grands parcours et moi c'est terminé. Mais ça ne dure qu'un temps, dès le lendemain, la motivation revient, la Lanterne a une grande capacité d'oubli. Ce deuxième objectif de l'année a été
réalisé (au mental), mais dans ces conditions dantesques, je m'aperçois que je n'ai aucune marge. Le niveau moyen est largement supérieur à celui de la Lanterne. Le plaisir est dans la réalisation
du défi mais peu pendant le défi lui même où la souffrance est importante. Les deux alternatinves possibles à l'avenir sont de réduire la voilure en faisant seulement les petits parcours
ou de progresser pour faire en sorte d'avoir une marge de sécurité suffisante pour que le plaisir l'emporte sur ces parcours qui me font toujours autant rêver. Mais demain est un autre
jour...