L'étape du Tour 2009 de la Lanterne

Publié le par Patrice

Après avoir exploré les profondeurs du classement de l'Ardéchoise, la Lanterne avait un autre défi à relever l'étape mythique du Tour de France 2009 entre Montélimar et le Ventoux, 172 km, 3800 m de dénivelé et... la chaleur. L'objectif était simple pour la Lanterne: finir dans les délais (éviter surtout de finir dans les camions rouges comme en 2007). Les délais étaient fixés à 17h30 soit 10h 20mn environ pour moi qui était dans le 3ème sas. Je pensais raisonnablement (quel grand naïf !!!) finir en 9 heures et des poussières, j'avais tablé sur un peu plus de 6 heures pour faire les 150 premiers kms et 3 heures de plus pour rejoindre le sommet du Mont Chauve (que j'avais monté en un peu plus de deux heures en mai . Ces prévisions me laissaient une grosse heure d'avance sur les bus-balai, la suite prouvera que des prévisions à la réalité, il y a souvent un gouffre...
Arrivé en famille la veille de l'épreuve, j'accomplis les formalités habituelles puis jette un oeil distrait au village départ. La chaleur est déjà accablante et les prévisions pour le lendemain sont encore plus inquiétantes pour quelqu'un comme moi dont le tube digestif redoute la chaleur.
La nuit au camping est correcte (pour une veille d'épreuve, tout est relatif). S'il prend à certains l'idée saugrenue d'aller camper à Montélimar, j'ai une bonne adresse... à éviter. Enfin, l'intérêt de ce camping est que je peux faire en vélo les 5 kms qui me séparent du sas de départ. Dès l'aube, c'est l'effervescence, il y a des vélos partout. En effet, 9500 cyclos sont inscrits, un peu moins sont au départ, 7400 verront le Ventoux. Parmi les présents, quelques VIP comme d'habitude et beaucoup de coureurs (ou d'anciens coureurs comme Brochard ou Zabel), notamment le Champion de France Dimitri de son prénom et son maillot bleu blanc rouge (il remportera l'épreuve).
Un grand absent cependant, mon camarade de fortune (l'an dernier) ou d'infortune (l'année d'avant), Mathieu qui a dû déclarer forfait en raison d'une blessure à l'épaule. Je suis déçu pour lui et regrette de ne pas partager ces moments toujours si particuliers.
A 6 h 20, je suis dans le sas, le premier départ est prévu pour 7 heures, le mien aura lieu seulement 6 mn plus tard. Je profite de l'attente pour m'assoir par terre et le spectacle de tous ces mollets rasés m'inquiète un peu. Il y a du coursier au mètre carré. Je suis toujours impressionné par le niveau moyen des concurrents, parfois la Lanterne se demande ce qu'elle fait là.
Je quitte la capitale du nougat. Les premiers kms sont avalés à rythme soutenu jusqu'à la première côte de Citelle longue de 5 kms. La descente est rapide et encombrée puis vient la côte de Rousset-les-Vignes, rapidement montée aussi. Au bout d'une cinquantaine de kms arrive le col d'Ey, les paysages sont magnifiques et les pentes commencent à être plus dures. La température est déjà chaude. Je fais une halte au premier ravito et suivant les conseils d'Yvon, je m'alimente et remplis les gourdes. C'est ensuite autour du col de Fontaube, on aperçoit souvent le Ventoux, on lui tourne autour... La cinquième difficulté du jour est la montée vers Aurel, longue de 6 kms. Je m'arrête au ravito liquide de Sault (il en faudrait sur la tête) puis j'attaque le Col des Abeilles  (qui elles aussi commencent à me tourner autour) et ses presque 1000 m d'altitude. Ce col est le moins joli de la journée, la route est large, sans arbres, c'est une véritable fournaise. Par contre la descente est agréable même pour un piètre descendeur comme moi.
Enfin j'arrive à Bedoin où Christine et les enfants m'attendent au pied du sommet.
J'ai déjà fait 150 kms et plus de 2000 m de dénivelé. Je suis dans les temps. Je prends le temps d'une pause photo et boisson, je mange un peu à l'ombre (+ de 40 degrés au soleil) et je repars avec un moral de vainqueur. La famille se dirige vers la station du Mont Serein où est le village arrivée.
Les 5 premiers kms de l'ascension sont les plus faciles, pour l'instant tout va bien. Le public est nombreux, tout le monde sue à grosses gouttes. Arrive le virage à gauche de St Estève et là commence mon calvaire, les 11 kms qui mènent au Chalet Reynard  vont être les plus long de la saison. Les pentes sont régulières mais très pentues, l'air est inexistant, je longe les bords pour trouver de l'ombre mais les bordures sont déjà encombrées par ceux qui marchent. Au détour d'un virage plus pentu, les crampes s'invitent à la fête, je suis tétanisé. J'en ai à l'arrière des cuisses mais aussi au dessus des genoux quand je me mets en danseuse. C'est une première en vélo pour moi. Je m'arrête, m'étire longuement. J'essaye de boire, c'est de plus en plus délicat, je ne suis pas un adepte de l'eau chaude. Je me remets en selle, je fais dans le fractionné: je roule un peu puis je m'arrête récupérer et m'étirer. Les crampes reviennent dès que j'appuie trop fort.
Autour de moi, c'est l'apocalypse, il y en a partout couché sous les arbres, les camping cars installés déjà pour voir l'étape des pros installent des matelas partout par terre, les pompiers et ambulances passent dans tous les sens. Je suis cuit (littéralement). Je n'arrive plus à boire, cela repart en circuit direct.
Je suis à 8 kms du sommet, l'abandon est proche. J'appelle Chris pour lui dire de ne pas s'inquiéter. Ils sont à l'arrivée, les enfants m'attendent. Cela me donne un coup de fouet, je ne leur ai pas fait faire tout ça pour flancher. Je me donne un nouvel objectif le chalet Reynard où un dernier ravito est prévu. Je rêve de gazeux et d'eau fraiche. Tant bien que mal j'y arrive et surprise... le ravito est vide, plus la moindre goutte d'eau. Au prix de l'engagement, on peut penser que même les "poireaux" comme moi ont droit à leur ravito. Un camarde me dit qu'il a encore 35 degrés à son compteur, nous sommes à 1500 m d'altitude !!! Un filet d'eau sort d'une source et des dizaines de cyclos s'agglutinent. Pour ma part je me dirige vers le café, noirs de cyclos égarés. Je commande un coca et m'attable pour le boire, je suis à la terrasse d'un café pendant l'étape du tour, ça a un côté surréaliste mais cela me redonne quelques forces, j'avale un gel et je repars.
J'affronte désormais un nouvel ennemi: les délais. Quand je repars du Chalet Reynard, il ne me reste plus qu'un quart d'heure d'avance sur les camions rouges. Les trois kilomètres suivants sont plus faciles, je reprends un peu de moral. Le sommet est à deux kms quand les crampes reviennent, aux mollets cette fois. Je fais la énième pause et je repars. Je passe devant les différentes stèles, je n'ai pas le temps de me recueillir, la course contre la montre continue. Je passe la ligne, épuisé, avec vingt minutes d'avance sur les délais en un peu plus de dix heures. J'apprendrais par la suite qu'au vu des conditions atmosphériques, les délais ont été allongés de 40 mn. Je suis dans les profondeurs du classement mais j'avoue ne pas y penser sur le coup tant la joie d'avoir atteint le sommet est grande.
Je redescends de suite au village arrivée où la petite famille m'attend. Je me promets que les grands parcours et moi c'est terminé. Mais ça ne dure qu'un temps, dès le lendemain, la motivation revient, la Lanterne a une grande capacité d'oubli. Ce deuxième objectif de l'année a été réalisé (au mental), mais dans ces conditions dantesques, je m'aperçois que je n'ai aucune marge. Le niveau moyen est largement supérieur à celui de la Lanterne. Le plaisir est dans la réalisation du défi mais peu pendant le défi lui même où la souffrance est importante. Les deux alternatinves possibles à l'avenir sont de réduire la voilure en faisant seulement les petits parcours  ou de progresser pour faire en sorte d'avoir une marge de sécurité suffisante pour que le plaisir l'emporte sur ces parcours qui me font toujours autant rêver. Mais demain est un autre jour...

Publié dans Cyclosportives

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P
Merci Fred pour ton sympathique message. Mathieu nous a vanté les qualités tant cyclistes qu'humaines des membres du team Chamrousse. J'espère avoir un jour l'occasion de rouler à vos côtés (du moins d'essayer). Félicitations pour votre blog toujours intéressant à lire et qui nous fait rêver des lointaines cyclos des Alpes
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F
salut a toi patrice tres beau résumé de l'etape du tour .j'etais ausside la partie ,comme toi j'ai beaucoup souffert (le ventoux en 3h00),comme toi un long arret au refuge du chalet reynard.....c'etait une bonne galere ..trop bona+
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M
Bravo car tu n'as pas laché mentalement et tu as ainsi pu réaliser tes 2 objectifs: Les 210kms de l'Ardéchoise et l'EDT du Ventoux... Ensuite, je ne peux que te rejoindre Patrice car on s'aperçoit que le niveau "moyen" des cyclosportives augmente de façon considérable: de plus en plus de coursiers viennent là du fait de la désaffection des courses. Par contre, de moins en moins de néophytes (comme toi et moi) osent se lancer dans le grand bain...Il est vrai que les "moyens " circuits sur lesquels je vais presque à chaque fois sont plus accessibles qu les "grands" parcours surtout en montagne. Je parle là de la Pyrénéenne ou de l'Ariégeoise notamment... Après, il est vrai que c'est un peu frustrant parfois ( apres des heures de voiture) de ne faire que 100 ou 120 kms mais c'est plus raisonnable.En tout cas, c'est avec plaisir que nous nous retrouverons à la Jalabert ou nous bouclerons la saison.
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P
Merci pour tous ces sympathiques messages, avec une mention particulière pour Ruru qui se soucie de ma récupération...Pour répondre à Jérôme qui s'interroge sur mes motivations: l'argent bien sûr...
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Y
Chapeau bas Patrice! Ton récit nous rappelle bien des choses que nous  aussi, avons vécues. Et ce n'est pas qu'au passé qu'il faut parler.Toutes ces souffrances ont les connais, et on se demande bien pourquoi on continue. Mais on oublie vite les maux et on garde effectivement les seuls souvenirs de nos exploits contre nous même.C'est une certitude, n'en doutes pas, tes capacités physiques et morales s'améliorent; tu as franchi un nouveau cap qui t' a donné la clé pour en franchir d'autres....(il faut trouver la voie!!!)Je retiendrai aussi que par canicule ou par déluge de grèle comme en 2000, la montagne sacrée du Ventoux est toujours aussi indomptable mais toujours aussi convoitée.    
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B
j'adhère totalement à la dernière phrase de Ruru. Tu nous connais, si on peut aider, c'est avec plaisir. Non vraiment t'aurais du appeler.Bon plus sérieusement bravo. Tu es en train de te forger un mental de fer, le taureau bis?Ceci dit comme dit Jérome un bon petit 120 km, c'est pas mal aussi.
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R
Président, bravo, il n'est pas question de "lanterne" dans des souffrances pareilles, mais de volonté.Tu constateras que tous les ans tu progresses, l'année prochaine tu seras avec les mollets rasés,nous on te regardera t'éloigner sur tes longues distances.Encore toutes nos félicitations.PS: c'est bien dommage qu'on n'ai pas roulé ensemble le lendemain, on se serait régalé à t'aider à récupérer....
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J
Devant tant d'abnégation dans la souffrance on ne peut que s'incliner, même si je ne comprendrais jamais qu'on puisse se mettre dans un état pareil de son plein gré. La conclusion du message de Patrice est toutefois pleine de sagesse. Alors à bientôt sur les randos, peut-être. A moins d'une rechute...
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A
Même dans la dificulté la LANTERNE est toujours allumée donc prête a repartir pour  la prochaine étape.Patrice;ce n'est pas a toi que je vais citer les paroles du "BARON". Encore bravo!Alain
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G
Un grand bravo à toi Patrice! Arriver à vaincre autant de difficultés rassemblées :  Distance, denivelé, canicule ,pente, le tout avec des crampes qui te coupent tout effort,ça c'est une belle leçon de courage et de volonté ! chapeau! Et comme dirait certains:"aprés ça tu vas en faire souffrir plus d'un"!
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