Hautacam, théâtre des rêves

Publié le par Patrice

Ceux qui ont suivi les aventures de la Lanterne ces derniers mois savent qu’en ce premier week-end de juillet, l’Etape du Tour servait de point d’orgue et d’objectif principal de la saison. Pau-Hautacam, 169 km, 3700m de dénivelé positif, une seule ambition : finir dans les délais ! L’échec de l’an dernier restait en mémoire, il avait été tout au long de l’année un facteur de motivation pour ne pas revivre la terrible humiliation du bus-balai (et du camion pour ma monture).

Comme il faut savoir tirer les leçons de ses échecs, Mathieu et moi avions apporté un soin tout particulier à la dimension logistique de notre défi. Nous avions trouvé un hôtel à 1 km du départ, réservation en Octobre, le lendemain de l’annonce du choix de l’étape. Et surtout, dans leur grande générosité, nos épouses étaient de la fête, elles passaient ses deux jours avec nous et nous récupéraient à l’arrivée.

Arrivés le samedi dans l’après midi, nous remplissions les formalités d’usage puis allions manger un repas équilibré loin de la Pasta Party du village départ (on réserve la guerre psychologique aux sorties clubs). Puis direction la case dodo où je passe une nuit agitée : orage dehors et tempête dans le cerveau, je travaille le sommeil fractionné, environ 4 heures au cumulé (Mathieu a eu cette formule particulièrement judicieuse : « il y a une différence entre se reposer et dormir »). Petit déjeuner dans la chambre, bisous à Christine et vogue la galère…

Nous arrivons au point de départ et trouvons notre sas (les numéros de dossards vont jusqu’à 9500 mais il y aurait seulement 8550 partants). Je suis dans un des premiers sas, Mathieu est plus loin, il est vrai que ma notoriété récente sur le net m’a valu un dossard quasi prioritaire. Je m’assois à côté de mon Ferrus, il fait nuit, il pleut, il ne fait pas chaud et il y en a pour une heure. Je ne roule jamais avec un cardio, bien m’en a pris, j’ai le cœur qui bat la chamade (salut Jéjé) alors que je suis assis. Je me raisonne : « calmos la Lanterne, tu joues pas la baraque là ! ». Le cycliste est un animal puéril. Je discute avec mes voisins, certains sont très sympas et viennent des quatre coins de France, d’autres se la jouent bête de course (même dans mon état de stress avancé je les trouve pitoyable).

 

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Le départ est donné, les dossards prioritaires (les vrais) et les VIP démarrent. A ce sujet, Alain Prost est resté au stand en raison du mauvais temps, putain cet Alain il a jamais eu de mental ! Dire qu’il se faisait appeler le professeur, voilà ce qui a grandement contribué à discréditer notre profession ! Quatre minutes après, c’est à mon tour, j’entends Christine m’encourager, il pleut de plus en plus…

Le paradoxe avec l’Etape du Tour, c’est que cela a tendance, pour des raisons qui m’échappent, à démarrer de manière plus raisonnable que dans d’autres cyclos. Je fais très attention, l’objectif est d’éviter la chute sur cette chaussée détrempée et avec ce peloton très fourni, je me glisse dans des groupes en évitant tout sur-régime. Je pense au conseil d’Alain : « Pour finir, il faut commencer à son rythme et finir… à son rythme aussi ». J’ai le tableau de marche dans ma tête : 4h pour les 102 premiers kms qui mènent au pied du Tourmalet, 2h pour le monter, 1h pour arriver au pied d’Hautacam, 2h pour le gravir soit 9 heures en tout ce qui me laisse une heure de battement par rapport aux délais d’élimination fixés à 10 heures. C’est dans ces moments là que j’exprime totalement mes névroses de psycho-rigide.

A partir du km 25, cela commence à grimper, c’est étroit et très vallonné entre Rébénacq et Nay. Je salue un spectateur célèbre qui nous applaudit , il s’agit de Garuet, généreux pillier à l’ancienne de l’équipe de France de rugby. J’avale plus loin la côte de Labatmale, les sensations sont bonnes malgré la pluie. Autour de moi, beaucoup maudissent ce ciel déchaîné, moi et mon ventre préférons cela à la grosse chaleur (vivre 6 ans en Picardie ça vous habitue à la pluie). Arrivé à Lourdes, je profite de ma présence dans la cité Mariale pour me délester un peu de mon eau bénite (oui, j’urine quoi !), j’ai 35 mn d’avance sur le camion balai. Puis, c’est la côte de Loucrup (les locaux prononcent Lou Truc) et l’arrivée à Bagnères. Je suis dans les temps sur mes prévisions horaires, mais c’est à partir de maintenant que « les mouches vont changer d’âne ».

Mathieu, parti 10 mn derrière moi, me rejoint au pied du Tourmalet puis nous montons chacun à notre rythme, je le vois au détour des lacets à 200m de moi tout au long de l’ascension. Tout le monde est dans le dur, on ne voit plus les aigles des premières heures qui passaient presque en klaxonnant sur notre gauche. D’ailleurs pour dire vrai, on ne voit rien du tout entre la bruine et le brouillard. Un ravitaillement est prévu à la Mongie, je le snobe et arrive au sommet sans poser pied à terre après 1h52 d’ascension. Mathieu a basculé et je ne reverrai le dauphin qu’à l’arrivée.

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Nous sommes au km 120, j’enfile une veste et je me lance plus que prudemment dans la descente. Il fait froid (8° en haut), on ne voit pas grand chose, j’ai des crampes au doigts à force de freiner, enfin j’atteins la vallée.

Il y a 15 kms de plat pour rejoindre le pied d’Hautacam, je refuse de me mêler aux groupes qui me passent à bon rythme, je mouline au maximun pour garder mes forces pour tout à l’heure. Juste avant l’ascension, Christine m’attend fébrilement. Je m’arrête, bois une gorgée d’un coca nettoyeur, j’enfile un maillot sec, je prends un dernier gel (1 pâte de fruits et 2 gels pour l’ensemble de la journée, plutôt frugal non ?). J’embrasse Christine, mon produit dopant à moi et je repars pour le baroud d’honneur.

 

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L’ambiance au début de l’ascension est très sympa, le public est nombreux et continue à encourager la litanie de cyclos. Certains ont choisi de tourner à gauche direction le village arrivée (il y aura 6200 classés). D’autres ont déjà terminé et descendent sur la voie de gauche. Le col est étroit, il y a des gens qui marchent, je monte à rythme lent mais régulier, je commence à doubler des concurrents. Le crachin reprend avec l’altitude, on a du mal à admirer le paysage. Les kilomètres s’égrainent, je sens que je vais y arriver. J’aperçois la flamme rouge, j’ai des frissons mais ils ne sont pas simplement liés au froid. Je vois un coureur, je devrai dire un marcheur qui traîne sa chaîne sur le sol, je félicite mon Ferrus pour sa fiabilité (je pourrai aussi remercier le docteur Yvon qui s’occupe régulièrement de sa santé). Il reste un km, je pourrai accélérer mais à quoi bon gagner trente secondes ou deux places, non, je savoure…

Je passe la ligne, on m’accroche ma médaille. Je suis aussi content que mon fils quand il a reçu sa première lors d’un tournoi de foot. Décidément, le cycliste est puéril (je me répète, c’est la fatigue). Je retrouve Mathieu, nous qui avions partagé la défaite l’an dernier communions dans la victoire. 8h39mn soit 4500ème au temps réel mais toute notion de classement me paraît désuète, il y a beaucoup de vainqueurs là-haut.

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Dans cette Tour de Babel cycliste, 2500 étrangers et 44 nationalités représentées, nous jouons les ambassadeurs. Nous aidons un sympathique anglais victime de crampes à s’habiller pour la descente (l’euphorie me fait délirer, trouver un citoyen de sa majesté britannique sympathique je suis peut-être moins lucide que je ne le pense), nous discutons avec des belges en faisant la queue (comme au télésiège !) pour redescendre. Cette descente est glaciale mais la vue de nos épouses nous réchauffe le cœur. Le chemin du retour est embouteillé, mais qu’importe…

Lorsque j’ai commencé à faire du vélo, il y a maintenant 6 ans, je rêvais de terminer un jour l’Etape du Tour. C’est fait. Mais ne vous inquiétez pas, dans la boîte à malice de la Lanterne, il y a bien d’autres rêves à deux roues…

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Publié dans Cyclosportives

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